plainte et complainte par Gilles Deleuze




















L'élégie comme source de la poésie latine, la "grande plainte".
"Ce qui m'arrive est trop grand pour moi", c'est cela la plainte.
Celui qui se plaint ne sait pas toujours ce qu'il veut dire.
"Cette puissance qui s'empare de moi est trop grande pour que je la supporte".

L'élégie comme expression de celui qui n'a plus, temporairement ou non, de statut social.
C'est pas du tout de la tristesse, c'est autre chose, c'est de la revendication, dans la plainte, étonnante.
Et il y a de l'adoration dans la plainte, c'est comme une prière.
La plainte du prophète, les complaintes populaires…

La plainte de l'hypocondriaque, dont l'intensité est belle : "pourquoi ai-je un foie, une rate…?"
C'est même pas "pourquoi ça me fait mal?, c'est "pourquoi ai-je… des organes…?"

C'est sublime la plainte. (la plainte populaire, la complainte chantée par le peuple…)

Ce sont les exclus sociaux qui sont en situation de plainte.
(cf. les esclaves affranchis, ceux qui n'ont pas de statut social, ils sont hors de tout. Exclus de toute communauté). La grande plainte, ce n'est pas la douleur qu'ils ont, c'est une chance.

Chez la pleureuse, les pleurs montent, c'est un art. Et puis ça a un côté un peu perfide, ça veut dire : "ne vous chargez pas de me plaindre, ne me touchez pas".
(comme les gens trop polis). La plainte, c'est : "ne me plaignez pas, je m'en charge".
Mais en s'en chargeant sois-même, on transforme la plainte.

"ce qui m'arrive est trop grand pour moi", c'est ça la plainte.
Alors moi je veux bien dire tous les matins "ce qui m'arrive est trop grand pour moi", parce que c'est la joie d'une certaine façon, la joie à l'état pur.

Mais cette plainte c'est pas seulement la joie, il y a cette folle inquiétude aussi.
Effectuer une puissance, peut-être mais à quel prix? (la manière dont Van Gogh est allé dans la couleur).  "Quelque chose risque de me briser, c'est trop grand pour moi".